Interview de Antony en 2001

lundi 01 juillet 2019

Posté par Fabienne | Classé dans : Mots

Antony (environ 10 ans), 14 décembre 2001, interview en Hindi

Antony en 2001

Tu as encore tes parents ?

Non. Enfin, j'ai vu ma mère brûler dans la maison. Elle est morte. Mon père et moi on est venu à Calcutta par train. On est arrivé à la gare de Howrah et il y avait beaucoup de monde et je me suis perdu.

Tu connais le métier de ton père ?

Non.

Est-ce que vous viviez dans une maison ?

Oui.

Tu as des frères et des soeurs ?

Oui, quatre frères et quatre soeurs. Une de mes soeurs est plus âgée que moi, les autres sont plus petits.

Est-ce que tu allais à l'école quand tu étais chez tes parents ?

Non.

Et les autres ?

Non, ils étaient trop petits.

Quand tu as perdu ton père dans la gare ?

Je ne sais pas, j'étais petit. Il y a alors un homme de la gare qui m'a trouvé, il m'a aidé, il m'a donné à manger et il n'a pas essayé de retrouver mon père.

Tu sais où tu vivais avec tes parents ?

Oui, a BALIA. C'est à trois stations de Howrah

Tu sais quelle langue tu parlais avec ta famille ?

Oui, Hindi.

Pas Bengali ? Tes parents habitaient au West Bengal mais n'étaient pas Bengali ?

Non, car mon père était musulman et ma mère était du Tamil Nadu, de Madras.

Alors entre eux ils se parlaient Hindi ?

Oui, sinon ils ne se comprenaient pas.

Pourquoi tu es venu à Calcutta avec ton père ?

Pour faire du commerce.

Tu as déjà séjourné dans d'autres gares avant Howrah ?

Non, c'était ma première gare.

Qu'as-tu fait ton premier jour à la gare ?

Le premier jour, j'avais perdu mon père alors je me suis assis et je l'ai attendu, La police m'a crié dessus alors j'ai changé d'endroit et je me suis encore assis. Alors deux enfants de la gare sont venus et m'ont demandé mon nom et puis d'où je venais. Je leur ai raconté que je ne trouvais plus mon père. Ils sont partis. Au début de la nuit ils sont revenus et m'ont demandé si je voulais venir avec eux. J'ai dit oui et après je suis resté avec eux.

Est-ce qu'ils sont encore à la gare ?

Oui.

Comment s'appellent-ils ?

Bigram et Mama.

Est-ce que tu connaissais quelqu'un à Calcutta avant de venir ?

Non.

Peux-tu me raconter une journée à la gare ?

Le matin jusqu'à treize heures on vérifiait les trains, on collectaient tout et on le gardait dans un endroit pour aller le vendre après. Ensuite on jouait et on allait à Don Bosco, et puis après quelquefois on allait au Night Shelter. Le matin on avait un petit déjeuner là-bas et après on devait repartir.

Quel est pour toi le plus difficile moment de la journée à la gare ?

C'est quand il fait très froid. La nuit.

Ça c'est pour l'hiver. Et à d'autres moments de l'année ?

Rien de spécial.

Est-ce que tu avais des amis à la gare ?

Oui. Beaucoup.

Tu peux les nommer ?

Non, il y en avait trop.

Pourquoi ce sont tes amis ?

Parce que quand je suis arrivé à la gare j'étais tout petit et ils m'ont quand même demandé de travailler avec eux. Ils me demandaient de m'asseoir dans un coin et puis de surveiller les bouteilles et les choses qu'ils allaient collecter. Ensuite ils allaient vendre et ils me donnaient à manger et puis de l'argent.

Ils t'aidaient parfois ?

Oui, si je n'avais pas à manger.

Que faisais-tu pour eux ?

Après quand j'ai grandi j'ai fait la même chose.

Est-ce que tu les connaissais avant de venir à la gare ?

Non.

Est-ce qu'il y a des enfants dont tu avais peur ?

Non.

Quels sont les adultes de la gare avec lesquels tu parlais tous les jours ?

Personne.

Quels sont ceux que tu voyais souvent ?

Personne.

En dehors de la gare, quels adultes voyais-tu le plus souvent ?

Une marchande de légumes. Je lui achète des légumes, je la salue, quelquefois elle m'en donne.

Y a-t-il des adultes que tu appréciais beaucoup ?

Non, pas dans la gare.

Qui pouvait t'aider si tu en avais besoin (maladies, faim) ?

Don Bosco ou mes amis.

Y a t il des adultes dont tu avais peur ?

Non. Des policiers, c'est tout.

Que faisais-tu comme travail ?

Je vérifiais les trains.

Est ce que tu faisais toujours le même ?

Oui.

Tu travaillais seul ou avec d'autres enfants ?

Souvent avec d'autres.

Toujours avec les mêmes enfants ?

Oui, toujours les mêmes. Mes amis.

Ceux qui achètent le papier et le plastique, sont-ils dans la gare ou en dehors ?

Les deux.

Tu vendais toujours aux mêmes personnes ?

Non, ça dépend de l'argent.

Ensuite, comment partagez-vous l'argent ?

On partageait en parts égales.

Personne n'a plus d'argent que les autres ?

Non.

Combien gagnais-tu dans une bonne journée ?

Je n'en sais rien, Quand je gagnais, je dépensais. Alors je ne sais pas combien je gagnais en tout.

Et dans une mauvaise ?

4, 5 roupies

Comment dépensais-tu ton argent ?

Cinéma, nourriture...

Est-ce que tu gardais de l'argent ?

Oui. Il y a un Tea-shop juste en dehors de la gare qui voulait bien nous garder de l'argent dans une boite. Avec le groupe avec qui je travaillais on se mettait d'accord pour aller poser de l'argent. Comme ça on économisait.

Et les gens du Tea-shop gardaient quelque chose pour eux ?

Non, ils ne prenaient rien.

Est-ce que tu en donnais ?

Il y avait une famille qui habitait dans le hall de la gare. Des parents avec deux filles. Je crois que le père était un peu malade mental. Un jour il avait beaucoup bu et il a battu sa femme. Elle avait l'air très triste alors je lui ai donné de l'argent. Après je lui donnais quand je pouvais.

Est-ce que tu travaillais parfois au service du personnel de la gare ?

Non.

Allais-tu souvent dans le hall de la gare ?

Oui. Pendant l'hiver. Il fait très froid au bout des quais. Alors j'allais dans un petit coin près du guichet et je m'endormais là-bas.

Alors c'est possible de dormir dans le hall ?

C'est possible mais on a beaucoup de problèmes avec la police. Mais il y avait un policier de Delhi qui était très gentil avec nous. Quand un groupe de policiers arrivait il venait avant et il nous disait : « ils arrivent, allez ailleurs ». Il était gentil, il nous donnait des informations.

Est-ce que tu parlais quelquefois à des voyageurs ?

Non, si j'y allais, ils me criaient dessus. On était trop sales alors ils nous disaient d'aller plus loin.

Où dormais-tu ?

Quand il y avait un mella [fête, N.D.R.] à Don Bosco, je dormais là-bas. Sinon, la plupart du temps, au bout du quai 9, 10, 14 ou dans le hall.

Est-ce que tu dormais seul ou avec d'autres enfants ?

Avec d'autres enfants.

Est-ce que vous aviez des problèmes la nuit ?

Oui, les piqûres de moustiques, le froid, et surtout la police.

Et la journée ?

Pas de problèmes parce qu'on est réveillé alors on peut voir la police arriver.

Y a-t-il des endroits où tu n'avais pas le droit d'aller ?

Non. Sauf si on reste trop près des bureaux de la police, alors ils nous crient dessus. Mais non il n'y a pas d'endroits interdits.

Et des endroits où tu ne voulais pas aller ?

Non.

Est-ce que tu sortais souvent de la gare ?

Oui, souvent.

Pour quoi faire ?

Pour aller au marché, pour aller acheter à manger.

Est ce que tu allais de l'autre côté du pont de Howrah ?

Oui.

Pour aller où ?

Vers le marché aux fleurs. Il y a un endroit ou on peut avoir à manger, gratuitement.

Est-ce que tu allais plus loin que le marché au fleurs ?

Oui. À Boutna. Avec mes amis, on allait dans beaucoup d'endroits, dans Calcutta, entre Howrah et Sealdah.

Est-ce que tu prenais le bus ?

Non, jamais.

Est-ce que tu connaissais des noms de quartiers à Calcutta ?

Non, à ce moment, je ne connaissais pas le nom des endroits, maintenant, oui.

Tu as déjà été à Bombay ?

Oui, avec un de mes amis. Mais je devais rester à la fin des quais parce que la police était très dure avec les enfants. Si je voulais sortir de la gare, je devais faire un long détour car c'était impossible pour nous de sortir par la porte principale.

Est-ce que tu es resté dans la gare ?

Oui, les enfants ne sont pas autorisés à sortir de la gare. La gare de Howrah est différente, tu peux aller et venir sans problèmes. Et puis la police est moins dure.

Alors tu n'as rien vu d'autre à Bombay ?

Non.

Et à Delhi ?

Oui, aussi. Old Delhi. Il y a là-bas un grand temple avec des singes. J'y ai été et un singe m'a sauté dessus et m'a mordu. Je saignais. Un homme est venu, a pris un morceau de tissu, il m'a emmené dans un coin et il m'a soigné. Il pleuvait à ce moment là.

Je ne connais pas Delhi ; si j'y vais, qu'est-ce que je verrais ?

Beaucoup de temples.

Tu as déjà été dans le sud de l'Inde ?

Oui, j'ai été avec ma famille à Madras.

Tu as aimé ?

Oui, les gens sont très gentils. Si tu vas chez eux, ils t'offrent à manger.

Est ce qu'il y a des endroits où tu voudrais aller ?

Oui, au Cachemire.

Pourquoi ?

Parce que là-bas il fait froid. Je n'ai jamais vu la neige tomber.

Tu prenais souvent le train ?

Oui, très souvent. Des que je me déplaçais je prenais le train.

Que faisais-tu dedans ?

Je balayais. Et puis je fumais aussi. Et puis avec mes amis on ramassait plein de tasses de thé vides et on s'asseyait à la porte du train et on les jetait sur les gens qui travaillaient dans les gares.

Quand tu étais à la gare, est-ce que tu connaissais d'autres pays que l'Inde (de nom) ?

Non.

Est-ce que tu peux me dire pour chaque endroit s'il est tout près, loin ou très loin ?

L'Amérique : TL
Bombay : L
Delhi : L
La Chine : TL
Park Street : L
Kalighat : L
La mer : L
Le Pakistan : L
L'endroit où était ta famille : d'ici c'est loin, de Howrah c'est près.

Donc tout est loin de Tollygunge ?

Oui, beaucoup de choses.

Et l'endroit où je vis ?

La France ? C'est très loin !

Non, l'endroit où je vis à Calcutta, Bawanipur ?

Loin.

Est-ce que tu aimais ta vie à la gare de Howrah ?

Non. Parce que souvent je voyais toujours des parents qui prenaient soin de leurs enfants alors j'étais triste. Je pensais que eux ils pouvaient vivre dans une maison. C'est pour ça que je n'aimais pas ma vie là-bas.

Qu'est-ce que tu voudrais faire quand tu seras grand ?

Je vais travailler. Ce que je veux faire je ne le sais pas encore.

Tu aimerais avoir des enfants ?

Non.

Tu voudrais vivre à Calcutta ?

Oui, et puis partir souvent pour visiter des endroits.

Si tu avais plus d'argent, que ferais-tu avec ?

Je le donnerais à mes « Aunties ».

Où as-tu appris à parler le Bengali ?

À Don Bosco. À la gare, je parlais Hindi avec les autres.

Est-ce que tu crois que tous les enfants de la gare prennent de la colle ou fument ?

Beaucoup d'entre eux mais pas tous.

Où achètent-ils l'herbe, les cigarettes, l'alcool ou la colle ?

Les cigarettes on peut les acheter partout et puis les enfants ramassent souvent les mégots qui sont par terre pour les finir. Le reste, on le trouve en dehors de la gare, près du Gange.

Mots clés : Antony, gare
Fabienne, responsable du projet à Kolkata

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